Cochinchine : inédit et nouveau classement des essais de la sapèque 1878
Nous aurons l'occasion de publier prochainement une note générale sur la question des essais inédits des monnaies coloniales ; nous nous limiterons ici aux questions soulevées par les essais de 1878 pour la sapèque de Cochinchine dont le classement actuel ne nous paraît pas satisfaisant.
Il faut attendre 1879, plus de 10 ans après la colonisation du delta du Mékong, pour que l’administration française mette en circulation un numéraire français en Cochinchine en lieu et place des monnaies étrangères qui circulaient jusqu’alors. Le système monétaire retenu est basé sur la piastre et ses divisionnaires dont l'unité la plus petite est la sapèque qui vaut 1/500e de piastre.

Alors que la piastre se rattache clairement au monnayage colonial et s’inspire du "trade-dollar" américain, la sapèque est une monnaie intrinsèquement asiatique dont le rattachement à la piastre est assez théorique. Elle emprunte son nom et sa forme caractéristique avec une perforation centrale carrée aux monnaies chinoises et annamites qui circulent depuis des millénaires dans toute l'Asie. Il s'agit probablement pour le gouvernement de faciliter l'acceptation de cette nouvelle monnaie par la population après l'échec de la mise en circulation de la 1 centime Cérès 1875 perforée d'un trou circulaire.

À notre connaissance c’est la première occasion pour la Monnaie de Paris, de frapper des pièces à perforation carrée et il est probable que la mise au point de cette monnaie a nécessité un travail préparatoire particulier avec plusieurs essais pour aboutir au type finalement adopté. Il y a d’abord, en 1878, des essais de flans puis, datés de 1879, des essais ou pré-séries au type définitif perforés ou non perforés. Or les différents ouvrages de numismatique coloniale ne s’accordent pas sur les essais de flans de 1878.

Essais "avec date" ou "sans date"

Jean Lecompte, dans son ouvrage sur les monnaies et jetons des colonies françaises ne retient qu’un essai de flan en 1878 avec trois variantes (deuxième édition, p. 234) : deux essais portant les mentions « Monnaies de Paris / Essai fait au monnayage » datés de 1878 en frappe monnaie et en frappe médaille (n°3 et 4) et un essai sans date décrit plus sommairement comme "identique au précédent" (n°5). Le World Coins Krause est plus succint encore et distingue seulement deux types : avec date (KM# E1) et sans date identique au précédent (KM# E2).

Un monnayage colonial typiquement asiatique

En réalité les essais sans date ne sont pas identiques aux essais avec date. Outre justement la mention de la date, la légende "MONNAIE DE PARIS" est encadrée par 2 étoiles, l'une à 8h et l'autre à 4h sur les essais sans date alors qu’il n’y en a qu’une à 6h sur les essais datés 1878. Il nous semble donc qu’il y a bien deux types différents pour les essais de flans. Dans les ouvrages les plus anciens on ne trouve d'ailleurs aucune mention de l'essai daté ; seul l’essai sans date est mentionné. E. Zay, dans son Histoire monétaire des colonies françaises publiée en 1892 le décrit ainsi :

"Un essai de cette pièce [la sapèque de 1879] porte en légende circulaire ESSAI FAIT AU MONNAYAGE. Une étoile en exergue. Revers: MONNAIE DE PARIS entre deux étoiles » (E. Zay, Histoire monétaire des colonies françaises, Paris 1892, réédition sans date, n° 64, p. 119).

L’exemplaire qui vient de rentrer dans notre collection correspond parfaitement à cette description ainsi qu'au type définitif avec un diamètre de 20 mm, un poids de 2 grammes et une perforation centrale de 5 mm. Bien qu'il conserve une partie de son brillant d'origine, il a été cisaillé et le motif est « écrasé » et mal venu à la frappe.

Essais frappe monnaie ou frappe médaille

La description donnée par Zay ne précise pas l'axe des coins ce qui, par défaut, renvoie à une frappe monnaie. Lecompte, au contraire, décrit l'essai sans date en renvoyant à une variante en frappe médaille. Le désaccord n'est qu'apparant car les deux variantes existent. En effet. Lors de sa VSO 25, CGB a proposé à la vente un essai sans date en frappe monnaie plus lourd que le type définitif (2,10 g., VSO 25, 26 janvier 2006, n° v25_1851). Notre exemplaire, en revanche, est en frappe médaille comme celui décrit par Lecompte.

En superposant l’image des deux monnaies, on constate qu'elles ont été frappées avec le même coin pour la face portant la légende « MONNAIE DE PARIS », mais que l’atelier a utilisé deux coins différents pour frapper la face portant « FAIT AU MONNAYAGE ». Nous sommes donc bien en présence de plusieurs essais destinés à préparer la frappe des sapèques de 1879 et nous proposerons le classement suivant :

Classification des essais de 1878 pour la sapèque de Cochinchine

Type 1 : sans date – deux étoiles encadrant la légende « MONNAIE DE PARIS »

Variante 1a : frappe médaille

Variante 1b : frappe monnaie

 

Type 2 : daté 1878 – une seule étoile après la légende « MONNAIE DE PARIS »

Variante 2a : frappe médaille

Variante 2b : frappe monnaie.

comparaison des coins par superposition des images
Il reste, pour conclure, à expliquer les raisons qui ont conduit les ateliers de la monnaie de Paris à frapper deux séries d’essais de flans avant de passer aux pré-séries de 1879. Comme souvent nous n’avons aucune certitude et nous ne pouvons que formuler des hypothèses. En examinant les essais publiés, il nous semble que l’explication la plus probable tient à un problème de centrage de la frappe avec un flan pourvu d’une perforation carrée. Nous avons déjà montré sur les sapèques courantes de 1879 que l’axe de la perforation varie d’un exemplaire à l’autre. Il fallait tenir compte de cette difficulté particulière dans le dessin du listel entourant la perforation. C’est, à notre sens, l’explication la plus plausible de ces essais de flans de 1878.